Il est des
coïncidences ironiques! Je m’étais rendue en 2002 sur le campus retiré et bucolique
de Virginia Tech, à Blacksburg, dans les Appalaches, pour y interviewer Stephen Prince ,
professeur de cinéma, spécialiste de la violence
sur les écrans
et auteur de plusieurs ouvrages sur la question, pour un documentaire sur l’impact de la
violence à la télévision sur les jeunes spectateurs. Dans un email reçu peu après
la tragique tuerie qui a causé 33 morts à Blacksburg hier, le professeur Prince
ne manquait pas de relever à quel point notre conversation théorique d’alors le
ramenait « littéralement » au cœur de sa réalité.
Dans cet
entretien, Stephen Prince disait déjà sa conviction sur l’effet de la violence
au cinéma sur les spectateurs, les plus jeunes en particulier. Le matraquage
d’images fortes – un Américain moyen verrait près de 20 000 morts violentes
simulées sur écran au cours de sa vie – désensibilise le spectateur, expliquait
Prince, « raison pour laquelle les cinéastes travaillent tellement leurs
scènes de violence, toujours plus longues, plus étoffées et sophistiquées dans
leur mise en scène et leur montage, avec gros plans, ralentis, mouvements de
caméras inattendus, pour à chaque fois, capter l’attention ».
Il avait analysé
pour nous plusieurs films, dont Bonnie
and Clyde d’Arthur Penn,
Orange Mécanique de Stanley Kubrik et le désormais incontournable « Basketball
Diaries », avec Leonard di Caprio dans le rôle de l’étudiant psychopathe et tueur. C’est
ce film qui aurait, croit-on, inspiré les deux jeunes tueurs de l’école Columbine,
l’autre tragédie qui avait secoué l’Amérique, le 19 avril 1999, à Denver, au
Colorado. On avait beaucoup glosé alors sur « l’effet copycat »,
l’effet d’imitation, que ces films induisent sur des jeunes gens perturbés, mal
dans leur peau, rejetés parfois par leurs pairs.
Rien
n’indique qu’une situation similaire ait été à l’œuvre à Blacksburg, mais cette
tragédie, comme les précédentes à Columbine (15 morts), Jonesboro en 1998 (5
morts, les tueurs avaient 11 et 13 ans) ou plus près dans le temps, l’automne
dernier dans la petite communauté Amish de Bart Township (5 morts), ramène à ces
mêmes questions. Pour d’autres spécialistes, la violence sur les écrans ne
serait que le reflet de la violence inhérente à la société américaine, et non
l’inverse. Et de citer pêle-mêle, l’origine violente des premières années de
l’histoire du pays, la mentalité des pionniers de l’ouest ne pouvant compter que
sur eux-mêmes dans un environnement hostile, et plus près de nous, la violence
des ghettos.
Ce qui
surprend surtout à chacune de ces tragédies de masse, c’est, malgré le choc, le
degré d’acceptation de cette brutalité. Les confrères américains, lors de la
première conférence de presse de la police, quelques heures après la tuerie,
s’étonnaient des faibles mesures de sécurité autour du campus, s’inquiétaient
du manque de préparation de l’Université face à un tel événement, comme si il
était évident qu’une école ou une université devaient désormais compter avec ce
type de raptus homicide.
En filigrane
bien sûr, l’éternel débat qui ne manquera pas de rebondir sur la libre
circulation des armes à feu aux Etats-Unis, intouchable au nom du sacro-saint deuxième amendement de la Constitution
qui garantit le droit à la libre défense et au port d’arme. Le tueur se serait
servi de deux armes, un 9mm et un 22 calibre. Depuis Columbine pourtant, et
malgré l’onde choc qu’avait créé ce massacre, aucune nouvelle législation sur
le port d’arme n’a été déposée au Congrès. Pire, le moratoire de dix ans sur la
vente des armes d’assaut semi-automatiques, adopté au début du mandat de Bill
Clinton en 1994, n’a pas été reconduit en 2004.
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