A chaque fois que je regarde John McCain s'acharner à se réinventer, je ne peux m'empêcher de penser au John McCain de l'an dernier dans les primaires, qui arpentait inlassablement le New Hampshire, convaincu, avec raison, quand tout le monde le donnait pour mort, qu'une victoire dans cet état proche du Canada pourrait lui apporter la nomination républicaine. Il avait déjà fait son revirement sur les réductions d'impôts de George Bush (les approuvant alors qu'il s'y était opposé deux fois au Sénat au grand dam de son parti), mais il m'avait frappée par son intégrité sur des questions qui me sont particulièrement chères.
A des électeurs franchememment excédés par l'immigration illégale, dont certains réclamaient que la frontière avec le Canada soit mieux contrôlée, McCain répondait imperturbable que l'immigration n'était pas qu'une question économique, qu'elle devait être traitée d'un point de vue moral et humanitaire. Chapeau bas, au moment où les leaders de son parti s'époumonnaient pour savoir qui allait renvoyer chez eux le plus prestement ces "aliens", forcément arrivés en "hordes".
Je n'ai personnement jamais adhéré à l'image de "maverick" (franc-tireur) dont s'est autoaffublé John McCain. ll m'est toujours apparu comme un opportuniste qui a su tirer son épingle du jeu dans les moments difficiles. Après s'être fait piéger dans l'affaire Keating, où il a tenté de favoriser le directeur d'une banque de dépôts qui avait faillite au début des années 90, il se devait de passer pour un modèle de rectitude morale. De la même manière, je pense que ses premières escarmouches contre Bush (les impôts notamment) étaient avant tout motivées par un désir de revanche contre un rival qui l'avait honteusement traîné dans la boue lors des primaires républicaines du printemps 2000.
Cela dit, je lui reconnais d'avoir su parfois tenir tête à son parti sur l'immigration, la réforme du financement des campagnes qui limite le pouvoir financier des groupes indépendants (une des principales raisons pour lesquelles la droite religieuse lui en veut encore). C'est ce McCain là qui attirait les indépendants. Lors de sa nomination, j'avais écrit une chronique sur le parallèlisme des messages de Barack Obama et de John McCain qui ratissaient déjà, en pleines primaires, du côté des indépendants, plutôt qu'aux extrêmes de leur parti. Un signe précoce à mon sens du profond désir de changement de l'électorat.
(Contrairement à certains commentateurs, je n'ai jamais pensé qu'Obama se vendait exclusivement à la gauche du parti démocrate. A l'exception de son opposition à la guerre en Irak, ses positions sont souvent plus centristes que celles d'Hillary Clinton par exemple, en particulier sur l'assurance santé). Un stratège républicain me disait en janvier que McCain était le seul républicain à même de pouvoir gagner contre Obama car il était le seul candidat du Grand Vieux Parti à cultiver des liens sincères avec les indépendants.
Mais ce McCain a disparu. En laissant peu à peu les hommes de Karl Rove (celui qui a fait George Bush) prendre les rênes de sa campagne, McCain n'existe plus. Il s'est fait imposer Sarah Palin comme colistière, un choix désastreux. Si elle a un instant fait illusion par sa "fraîcheur", elle n'a finalement galvanisé que la droite chrétienne qui même si tiède à l'égard de McCain n'aurait pas migré en masse vers Barack Obama. McCain aurait dû suivre son instinct, choisir le sénateur Joe Lieberman, un ami à qui il fait confiance, ou même Tom Ridge, le premier directeur du Homeland Security, le méga-département de la sécurité nationale, créé après le 11 septembre. Oui, ils sont tout deux pro-avortement, mais McCain pouvait rapidement rétorquer que la tête du ticket c'était lui, le choix des juges de la Cour suprême lui aussi.
Hier soir encore, lors du dernier débat contre Barack Obama, John McCain m'a une nouvelle fois donné l'impression de radoter, répétant plusieurs fois les mêmes phrases, apprises par coeur pour ses discours. Non que cela n'arrive pas à d'autres candidats, Obama l'a fait pour son plan économique hier. Mais il y a de l'incohérence dans les propos de McCain. Et j'ai compris pourquoi hier, je crois. Rien à voir avec son âge comme ses détracteurs voudraient le faire croire (et c'est une attaque facile). Non, McCain est incohérent car il est devenu une hydre, composé de toutes pièces par ses nouveaux stratèges. Il récite des slogans qui ne sont pas forcément le reflet de ses convictions.
Malgré cela, je me retiendrai de toutes conclusions hâtives sur le résultat de l'élection. Vingt jours sont une éternité dans une campagne présidentielle. Mais s'il continue à radoter de la sorte, je ne vois pas comment McCain pourra convaincre les indépendants et partant, gagner cette présidentielle.